France-Ukraine-Russie

Billet d’humeur
Sabine Renault-Sablonière

À la fin des années 80, j’étais secrétaire générale de l’Association pour la Russie Libre. Une association créée par une poignée d’amis passionnés par la Russie. Ensemble, nous nous efforcions de briser l’anonymat des prisonniers politiques exilés ou au goulag. Par notre truchement, la majorité des parlementaires français avait pris sous leur protection l’un d’entre eux : Jacques Godfrain : le Père Gleb Yakounine, François Léotard, le syndicaliste : Valéry Senderov… Ils faisaient ainsi comprendre la nature du totalitarisme au travers de ses victimes.

En 1994, dans le cadre d’ActuPresseCom, mon cabinet de Conseil en communication, j’organisais une conférence en Russie, à la demande de mon premier client : Michel Pinton, fondateur et ancien Secrétaire général de l’UDF et parlementaire européen. Cette initiative était une co-production de la Douma d’État de la Fédération de Russie, du Parlement Européen et de l’Assemblée Nationale de France.

Le thème en était : L’Europe peut-elle exister sans la Russie ?

La relecture de ces actes m’a permis de revisiter cette époque. Comme un lancinant appel, au milieu des années 90, les Russes voulaient plus d’Europe. Mais à leur rythme et pas sous l’emprise de modèles culturels simplifiés. Et les débats sur la construction d’une nouvelle architecture de défense européenne n’ont abouti à rien :  Partenariat pour la paix, Maison Européenne, Conseil de sécurité européen… Les initiatives n’ont pas manqué. Mais aucune d’entre elle n’a permis de remplacer la balance entre les deux blocs, et l’OTAN craignait de voir naître une organisation concurrente.

Le 29 avril 1994, lors de cette conférence, le professeur Sergueï Alexandrovitch Karaganov prévenait : « Si la Russie est exclue du continent européen, elle cherchera, tôt ou tard, à le déstabiliser. »

Eh bien voilà, nous y sommes.

Mon propos n’est, bien sûr, pas d’excuser le dictateur qui est à la tête de la Russie et tout ma compassion se porte vers les Ukrainiens, victimes et résistants. Ils forcent l’admiration et font bouger les lignes de confort d’un Occident qui oublie la richesse des valeurs qui l’ont constitué.

Mais ne retombons pas, comme ce fut le cas, du temps de l’Union Soviétique, dans uns stratégie d’ostracisme du peuple russe. Cette attitude ne peut que renforcer les passions nationalistes souvent destructrices et facteurs de guerre.

Pourquoi interdire le festival du cinéma russe, ou la semaine du livre russe, pourquoi interdire à des chefs d’orchestre de diriger un concert de musique russe ? Pourquoi lancer une procédure d’exclusion des Russes du Conseil de l’Europe ?

La Russie a donné naissance à de grands génies. Ne citons que : Tolstoï, Dostoïevski, Tchaïkovski, Moussorgsky, Andreï Roublev… Les amateurs de peinture ont pu apprécier, récemment, à Paris, les œuvres de Répine, les collections de Chtchoukine puis de Morozov.
En 1914, Gaston Migeon, grand conservateur du Louvre écrivait :

« Faudra-t-il donc plus tard faire le voyage de Moscou pour connaître Gauguin ? Car toutes ces œuvres réunies chez Morozov et Chtchoukine y constitueront un jour le plus beau musée d’art français contemporain.

À la question d’un conservateur de musée allemand :
« N’avez-vous pas un Gauguin au Musée du Luxembourg ? »

Il répondit :
«  Non, certes, et l’on n’y songe même pas, car ce serait un beau tollé. »

La France et la Russie ont des liens culturels immenses, il faut plus d’un volume pour les décrire.

Si Vladimir Poutine continue à détruire le peuple ukrainien et à enfermer et isoler le sien, sans doute sera t-il nécessaire de faire renaître de ses cendres l’Association pour la Russie Libre.